Tuesday, August 2, 2016

Islamic Paradise as Seen by a Muslim Writer

ORAN, Algérie — A écrire un jour : une topographie du paradis dans l’imaginaire médiéval musulman. Pas seulement l’imaginaire médiéval d’ailleurs, puisque pour beaucoup de musulmans le paradis est aussi au centre du discours politique, du prêche et de l’imaginaire actuels. Le paradis comme but pour l’individu ou le groupe a remplacé peu à peu les rêves de développement, de stabilité et de richesse qu’avaient promis les décolonisations d’après-guerre dans le monde arabe. Désormais on ne parle des lendemains qui chantent que pour après la mort, pas avant.
“Le paradis se pare de délices” rêvassait un éditorialiste dans un journal islamiste algérien pendant le dernier Ramadan, mois de jeûne. S’en suivaient des descriptions de grâces, de délices et de joies qui attendent le bon croyant dans l’au-delà. Ce fantasme du paradis, largement présenté comme espace de jouissance, avec sexe et vin, parures d’or et vêtements de soie, est le contraire de la vie d’ici — et des frustrations des pays arabes touchés par les échecs économiques, les guerres et les dictatures sanglantes.
Le firdaous (lointain ancêtre du mot “paradis,” souvenir du perse), promis par le Coran, est abondamment décrit par la littérature religieuse depuis des siècles. Mais ces dernières années le paradis est aussi devenu le pays rêvé du pauvre, du chômeur, du croyant — et du djihadiste, grâce à certaines élites religieuses qui le promeuvent comme stratégie de recrutement.
Fascinant renouveau du concept d’utopie comparé à l’idée que l’on se faisait par ici du bonheur il y a un demi-siècle. Les pays du Maghreb et du Moyen Orient, nés de décolonisations souvent arrachées de force à des puissances d’occupation qui leur avaient imposé guerre, pauvreté et misère, ont d’abord été les avocats d’une vision de l’avenir qui reposait sur l’indépendance, l’égalitarisme, le développement, la création des richesses, la justice et le vivre-ensemble.
Cette utopie à portée de main humaine, relayée par les élites socialistes ou communistes ou mêmes certaines monarchies, était un rêve politique partagé qui assurait aux nouveaux régimes une certaine légitimité auprès de leurs populations et de gouvernements étrangers. La décolonisation était le temps des grands slogans sur les avancées des peuples et la modernisation à coup de grands projets structurants.
Mais ce rêve a mal vieilli suite aux maladies sanglantes des régimes autoritaires et les échecs politiques des gauches dans le monde arabe.
Aujourd’hui il faut être musulman — de foi, de culture ou de lieu de résidence — pour vivre le poids de la nouvelle utopie, l’utopie post-mortem de l’islamosphère d’internet et des champs médiatiques. Celle-ci conditionne l’imaginaire, le discours politique, les rêveries de café et le désespoir des jeunes générations. Le paradis est de retour de mode, décrit avec d’hallucinants détails par les prêcheurs, les imams et la bitlit islamiste.
Point fort de ces descriptions : les femmes, promises en grand nombre comme récompense pour les élus de Dieu. Les femmes du paradis, les houris, sont belles et soumises, vierges et langoureuses. L’idée d’elles attise un érotico-islamisme hallucinant auquel le djihadiste aspire et les autres hommes fantasment, anxieux d’échapper à la misère sexuelle de leur vie quotidienne. Kamikaze ou misogyne, le rêve est le même.
Et pour les femmes admises au jardin éternel ? Si les hommes peuvent avoir des dizaines de vierges, qu’en est-il des femmes, vu le préjugé machiste des faiseurs de rêves sur terre ? La réponse des prêcheurs est parfois amusante : la femme est récompensée au paradis en devenant l’épouse comblée de son homme, les deux éternisés dans la félicité, à l’âge symbolique de 33 ans et en bonne santé. Et si la femme sur terre est divorcée ? Le prêcheur répond qu’elle sera remariée à un autre homme mort et divorcé lui aussi.
Etrangement, ce rêve du paradis musulman se retrouve confronté à un autre rêve à la fois antagoniste et semblable : l’Occident. Lieu de passion ou de haine pour le croyant musulman comme pour le djihadiste, l’Occident et ses licences est l’autre versant du paradis musulman post-mortem : On rêve d’y aller en migrant ou en martyr. On veut y vivre et y mourir, ou alors le soumettre et le détruire.
La nouvelle utopie du paradis musulman pèse aujourd’hui dans le monde arabe. Elle motive les foules, donne du sens à leur désespoir, allège le poids du monde et compense la tristesse, comme après l’indépendance le permettait la promesse d’un pays riche et heureux. Mais le paradis dans l’au-delà est une source de fantasmes qui crée aussi le malaise. Car même si on veut l’ignorer au plus profond de soi, on sait qu’avant d’accéder à cette utopie-là il faut d’abord mourir.
Read in English (Lire en anglais)

Suivez les pages Opinion du New York Times sur Facebook et Twitter.
Kamel Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran, est l’auteur de “Meursault, contre-enquête.”

No comments:

Post a Comment