Tuesday, February 16, 2016

An Article in French about Africa from the NYT on 2/16/16

DAKAR, Sénégal — La semaine dernière, les acteurs du procès de Hissène Habré se sont retrouvés ici pour leurs plaidoiries finales devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), un tribunal créé spécialement pour juger l’ancien président du Tchad. Habré, au pouvoir de juin 1982 à décembre 1990, est poursuivi, entre autres, pour de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis contre ses opposants politiques.
Le procès est un événement majeur dans le domaine de la justice pénale internationale. Il est exceptionnel qu’un tribunal d’un pays juge l’ancien président d’un autre pays. Il est inédit que cela se déroule devant un tribunal expressément mandaté par l’Union africaine pour juger l’un des siens “au nom de l’Afrique.” Et déjà, bien que le verdict ne soit pas attendu avant le 30 mai, le procès apparaît comme un succès : jamais dans une telle affaire, la voix des victimes n’aura été aussi dominante.
Or, l’Union africaine semble tirer cette conclusion de l’expérience : ne recommençons pas. Ses chefs d’Etat ne veulent pas prendre le risque d’être pris dans les filets très sélectifs, et très politiques, de la justice pénale internationale.
Habré avait momentanément réussi à faire dérailler l’ouverture du procès en juillet en refusant de participer aux audiences. On avait dû l’amener de force dans le prétoire. Ses supporters avaient semé le chaos. Ses avocats ne s’étaient pas présentés. La cour avait été contrainte d’en nommer trois autres d’office, et d’ordonner un report.
Mais à la reprise des débats, en septembre, la cour était prête. A leur première protestation bruyante, les partisans d’Habré furent expulsés et menacés de poursuites. Après avoir qualifié le procès de complot “impérialiste,” il ne restait à Habré, 73 ans, qu’à se draper dans le silence et son ample boubou blanc.
Au cours des années 80, dans un Tchad constamment en guerre contre lui-même ou contre la Libye, qui occupait une partie de son territoire, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) a été en charge de la répression des opposants politiques du régime, réels ou supposés. Plusieurs milliers de Tchadiens — il n’existe pas d’estimation sérieuse de chercheurs — sont morts de malnutrition, maladies, tortures et exécutions dans les sept centres de détention secrets installés dans la capitale, N’Djamena, ou dans d’autres cachots en province.
Hissein Robert Gambier, soudeur de profession arrêté en 1985 par la DDS comme agent libyen présumé, a décrit en audience le supplice dit des baguettes. Un bourreau serre progressivement deux bouts de bois placés sur les tempes du prisonnier. “Je voyais comme des nuages. Je voyais mes tortionnaires de haut en bas. Tout était en bas. Même la chambre était en bas.”
Gambier, aujourd’hui malentendant et l’oeil poché, a imité les bruits de la nuit dans la cellule et les gémissements des prisonniers ; il a décrit l’oppression des corps pressés les uns contre les autres et leur “diarrhée brûlante, transparente et verdâtre.” Il est resté cinq ans en détention. Ses codétenus l’appelaient “celui qui court plus vite que la mort.”
La DDS a également joué un rôle important dans trois violentes campagnes menées par l’armée contre les populations du Sud de 1982 à 1987, et par la suite contre les communautés Hadjaraï et Zaghawa, anciennes alliées de Habré devenues ennemies. Le même mode opératoire se répétait: on s’en prenait d’abord aux cadres locaux avant de s’attaquer à toute la communauté.
Mbaïssouroum Manda René, cultivateur à Maïbo, au sud du pays, a vu les militaires encercler son village un matin de mars 1985. Ils l’ont emmené avec 16 autres jeunes hommes au pied d’un grand arbre néré. Là, on leur ordonna de s’allonger à plat ventre. “Et après ça, tout ce qu’on a senti, c’est les balles sur nous. Pok, pok, pok,” a-t-il déclaré au tribunal. Il n’y eut que quatre rescapés.
Le procès n’aura pas révélé une idéologie particulière derrière cette violence. Il aura plutôt mis en lumière l’histoire d’un chef politique brillant, méticuleux et autoritaire, qui selon un ancien officier de la gendarmerie “a vécu pour se venger.”
Et il aura permis aux victimes de Habré de bousculer le rapport de forces habituel entre victimes et accusé pour imposer leur voix en audience. Notamment, plusieurs femmes ont témoigné avoir subi des violences sexuelles répétées, mettant la lumière sur un crime courant qui avait été, dans ce conflit-ci comme dans d’autres, largement ignoré. Tout cela dans le cadre d’un procès beaucoup plus rapide et moins cher que toute autre affaire majeure menée devant un tribunal pénal international.
Une victoire pour les victimes, donc, mais aussi pour les ONG qui les ont appuyées pendant de longues années et les nombreuses péripéties politico-judiciaires qui ont suivi la première plainte déposée en 2000 devant une cour sénégalaise. Des rapports d’Amnesty International datant des années 80 ont appuyé les dépositions à l’audience devant les CAE. Human Rights Watch aura déployé sa puissance stratégique et médiatique — et 1,5 millions de dollars sur les seules trois dernières années — au service des victimes.
La défense a d’ailleurs dénoncé le travail sélectif d’un lobby international d’organisations des droits de l’homme. S’adressant la semaine dernière au représentant de Human Rights Watch présent dans la salle, Mounir Ballal, un des trois avocats commis d’office, a ainsi déclaré : “Vous avez un peu constitué une quadrature du cercle.”
Ballal et ses deux collègues sénégalais, entrés d’urgence dans un dossier bouclé et privés d’accès à un accusé qui les refuse catégoriquement, ont souligné la fragilité de certains témoignages. Mais ils ont aussi invoqué la dimension politique du procès, notamment l’implication constante des grandes puissances dans le conflit au Tchad dans les années 80 et la coopération biaisée du gouvernement tchadien actuel avec les CAE.
La défense a régulièrement suggéré que ce procès était le fruit d’une entente entre Idriss Déby, le président tchadien depuis plus de 25 ans, quelques puissances étrangères et des ONG internationales. Le gouvernement tchadien assure 35 pourcent du budget du tribunal, mais il a refusé de livrer cinq autres individus accusés par les CAE et empêché certains témoins de venir à Dakar. Et Déby, qui était chef de l’armée sous Habré lors de la terrible répression de 1984 dans le sud du pays, n’a jamais été inquiété.
Rien non plus n’a été retenu de la responsabilité de la France et des Etats-Unis, qui ont pourtant solidement soutenu Habré quand il était au pouvoir. Dès lors, ce procès n’a pas moins été soumis aux pressions politiques que les autres grands procès pour crimes de masse contemporains. Ce qui ne le rend pas moins menaçant, au contraire — y compris pour ceux qui en ont tiré parti, comme Mr. Déby.
Un nombre croissant de membres de l’Union africaine entretiennent une relation hostile à la Cour pénale internationale (CPI), basée à la Haye, dont les 29 premiers accusés sont tous africains. La figure de proue de cette résistance est Uhuru Kenyatta, le président kényan, mis en accusation par la CPI pour des violences ethniques qui avaient suivi les élections de 2007 — alors que Kenyatta était encore membre de l’opposition — et qui a réussi à obtenir l’abandon des poursuites.
Le 31 janvier, Kenyatta a fait adopter par ses pairs de l’Union africaine une proposition envisageant le retrait des pays africains de la CPI. Le vote a eu lieu sous l’autorité du nouveau président de l’Union africaine, élu la veille : Idriss Déby.
Il y a 10 ans, l’Union africaine mandatait le Sénégal pour poursuivre Habré et rendre justice en son nom, présentant les CAE comme une alternative à la CPI. Aujourd’hui, après le bon déroulement des audiences dans le premier procès pour des africains et par des africains, elle indique ne plus vouloir courir un tel risque.
Read in English (Lire en anglais)

English version:

DAKAR, Senegal — Last week the parties to the trial of Hissène Habré gathered here to make their closing arguments before the Extraordinary African Chambers (E.A.C.), a court specially set up to judge the former president of Chad. Mr. Habré, who was in power from June 1982 to December 1990, stands accused, among other things, of committing numerous crimes against humanity and war crimes against his political opponents.
This trial is a major event in the field of international criminal justice. It’s uncommon for one country to judge the former president of another country. It’s unprecedented for this to take place before a court expressly appointed by the African Union to pass judgment on one of its own “in the name of Africa.” Although the verdict isn’t expected until May 30, the Habré trial already seems to be a success: Never in a trial for mass crimes have the victims’ voices been so dominant.
And from this the African Union seems to be concluding: Never again. The leaders of its member states don’t want to risk being trapped by the very selective, and very political, application of international criminal justice.
Mr. Habré temporarily succeeded in derailing the opening of the trial last July by refusing to participate in the hearings. He was brought into the courtroom by force. His supporters created chaos. His lawyers refused to show up. The court had to appoint three new defense counsels and postpone the hearings.
But when the proceedings resumed in September, the court was ready. At their first noisy protest, Mr. Habré’s partisans were expelled and threatened with charges. After denouncing the trial as an “imperialist” plot, Mr. Habré, 73, could do nothing but wrap himself in silence and his big white bubu.
His presence just a few meters away from the victims on the witness stand was a daily reminder of his defeat. For a little more than three months last fall, the former president of Chad was obliged to listen — there, right next to him — to 90 witnesses, all of whom basically testified against him.
During most of the 1980s, when Chad was constantly at war either with itself or with Libya, which occupied part of its territory, the Directorate of Documentation and Security (D.D.S.) was in charge of suppressing the regime’s political opponents, real and assumed. Several thousand Chadians — there are no reliable estimates — died from malnutrition, disease, torture or outright execution in the seven secret detention centers set up in the capital, N’Djamena, or in other prisons in the provinces.
Robert Hissein Gambier, a welder who was arrested by the D.D.S. in 1985 on suspicion of being a Libyan agent, described to the court the torture method called “the baguettes,” the sticks. The torturer gradually tightens two pieces of wood placed over the prisoner’s temples. “It was like seeing clouds. I saw my torturers below me from above. Everything was down below me. Even the room was below me.”
Mr. Gambier, who today is hard of hearing and has bags under his eyes, imitated the night sounds in his cell and other prisoners’ groans; he described the oppression of bodies pressed against one another and their “burning, transparent, greenish diarrhea.” He was in detention for five years. Fellow detainees called him “the man who runs faster than death.”
The D.D.S. also played an important role in the violent campaigns the army conducted against populations in southern Chad between 1982 and 1987 and then against the Hadjarai and Zaghawa ethnic groups, former allies of the regime who had become its enemies. The same operating method was used repeatedly: Community leaders were targeted first, then the entire community.
Mbaissouroum Manda René, a farmer from Maibo, in southern Chad, was 19 years old when soldiers surrounded his village on the morning of March 7, 1985. They selected him and 16 other young men, and brought them to a big néré tree. The villagers were ordered to lie face-down. “And after that, all we could feel were the bullets striking us. Pok, pok, pok,” Mr. Mbaissouroum told the court. He was one of only four survivors.
In the end, the trial will not have revealed any particular ideology driving this political violence. Instead it will have shed light on the story of a brilliant, meticulous and authoritarian political leader who, in the words of a former police officer, “lived to take revenge.”
And it will have allowed Mr. Habré’s victims to upset the power dynamic that typically governs the relation between victims and accused in such trials, and to make themselves heard in court. Notably, several women testified they had been repeatedly subjected to sexual abuses, calling attention to a crime that, in this conflict as in others, is common but commonly overlooked. And all of this will have happened in the course of a trial far more efficient and cheaper than any other case brought before an international criminal court.
This is a victory for the victims, then — but also for the NGOs that supported them for many years and through the extended politico-judicial saga that followed the first complaint brought before a Senegalese court in 2000. Reports that Amnesty International put together in the 1980s corroborated the testimony of witnesses at the E.A.C. Human Rights Watch deployed its strategic might and media savvy — and no less than $1.5 million in the past three years alone — in the service of the victims’ interests.
So much so that the defense lawyers denounced the selective work of an international human rights lobby. Last week, turning to a Human Rights Watch representative in the audience, Mounir Ballal, one of Mr. Habré’s three court-appointed lawyers said, “In a way, you have squared the circle.”
Mr. Ballal and his two Senegalese colleagues, who were sent in as emergency backup to work on a case already well underway and who were deprived of access to a client who categorically rejected them, pointed out the weakness of some witness accounts. But they also emphasized the trial’s political dimension, in particular the constant involvement of great powers in the conflict in Chad in the 1980s and the current Chadian government’s biased cooperation with the E.A.C.
Defense counsel regularly suggested that the trial was the result of an understanding between Idriss Déby, the president of Chad for the past 25 years, several foreign powers and international NGOs. The government of Chad has provided 35 percent of the court’s budget, but it refused to hand over five defendants called by the court and prevented several witnesses from testifying in Dakar. And although Mr. Déby was Mr. Habré’s army chief during the terrible repression in southern Chad in 1984, he has been left undisturbed.
Nor was anything said of the role of France and the United States, which strongly supported Mr. Habré while he was in power. In short, this trial was no less shaped by political expediency than other major contemporary trials for mass crimes. And this makes it just as threatening — including for its beneficiaries, like Mr. Déby.
An increasing number of African Union members nurture a hostile attitude toward the International Criminal Court (I.C.C.), based in The Hague, whose first 29 defendants have all been Africans. The leader of that resistance is President Uhuru Kenyatta of Kenya, whom the I.C.C. charged for crimes committed during an outbreak of ethnic violence following Kenya’s 2007 election, when he was still in the opposition — charges he subsequently managed to have dropped.
On Jan. 31, Mr. Kenyatta convinced his peers in the African Union to adopt a proposal to consider withdrawing from the I.C.C. The vote took place under the authority of the African Union’s new president, who had been elected the day before: Idriss Déby.
A decade ago, the African Union tasked Senegal with trying Mr. Habré and rendering justice in its name, touting the E.A.C. as an alternative to the I.C.C. Today, after the successful conclusion of hearings in the first trial for Africans by Africans, it is signaling that it will not take such a risk again.

Lire en français (Read in French)

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Thierry Cruvellier is the author of “The Master of Confessions: The Making of a Khmer Rouge Torturer” and “Court of Remorse: Inside the International Criminal Tribunal for Rwanda.” This essay was translated by John Cullen from the French.


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Thierry Cruvellier, journaliste, est l’auteur du “Maître des aveux” et du “Tribunal des vaincus.”

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